Conversation avec Alexis Flamand 1/2

le : dimanche 8 septembre 2013

Le 7 août dernier, j'avais rendez-vous à Bordeaux avec Alexis Flamand, l'auteur du Cycle d'Alamänder paru aux Éditions de l'Homme sans nom.

Nous avons passé deux heures dans un café, à discuter allègrement de ses romans, de sa façon de travailler, de ses lectures et de tout plein d'autres choses, comme le cinéma et les jeux de rôles, toutes les unes plus passionantes que les autres ! 

Deux heures de discussion, vous pensez bien que ça fait beaucoup de bla bla et comme Alexis est très bavard (^^) et moi aussi, j'ai décidé de couper l'interview en deux parties. Voici donc la première partie de cette entrevue qui fut fort intéressante et qui j'espère vous plaira et vous donnera envie de découvrir l'univers si particulier d'Alexis Flamand !

Compte rendu de l'interview

Alexis Flamand et Exécutrice

V&S : Je trouve que HSN est certes une petite maison, mais vos romans sont vraiment d’une grande qualité.

Alexis Flamand : Il y a un bouche à oreille qui se fait au niveau des blogs et des sites sur la maison, et on a beaucoup de retours qui nous disent qu’il y a une grande homogénéité sur la qualité. Cela nous fait très plaisir car c’est vraiment ce que notre éditeur recherche. On a des ouvrages qui sont très différents les uns des autres. La Dernière Terre, par exemple, est une Fantasy intimiste, la psychologie des personnages est fouillée, etc. Alamänder, à l’inverse, c’est presque une sorte de parc d’attraction, avec des lumières qui clignotent dans tous les sens… 

V&S : Alamänder, c’est sympa parce qu’il y a beaucoup d’humour, mais ça traite de sujets quand même assez graves sous couvert d’humour.

AF : Oui, mais tu sais pourquoi ? Parce que c’est toujours plus facile de faire passer certaines idées sous le coup de l’humour. Ce que je dis toujours, c’est que l’humour avance masqué. Quand tu ris, tes défenses sont moins présentes.

V&S : Oui, le royaume de Kung Bohr n’est pas franchement top niveau démocratie.

AF : Oui, absolument. Pour revenir sur l’humour, effectivement il y a beaucoup d’humour, mais ce qui m’intéresse vraiment, c’est l’histoire, et je ne voulais pas que l’humour soit au centre du bouquin. Il y a des personnes qui chroniquent ou qui me disent « oh, j’ai adoré parce qu’il y a de l’humour », mais quand je parle du cycle, j’essaye de pas mettre l’humour en avant parce que ce n’est pas du Pratchett, par exemple. Quand tu lis Pratchett, c’est très drôle, mais l’histoire est presque un prétexte pour les vannes qu’il va te sortir à longueur de temps. Je n’ai pas envie que ce soit comme ça pour Alamänder. L’humour est une couche supplémentaire, mais pour moi le cœur du bouquin c’est l’histoire. D’ailleurs, si tu dis que le premier tome est touffu, tu verras que le premier est gentil à côté du deuxième et du troisième.

V&S : En fait, j’ai trouvé, et c’est ce que j’ai dit dans ma chronique, que le démarrage est un peu long car il faut poser les bases de l’univers. Donc du coup ça s’accélère un peu sur la seconde partie, mais c’est normal puisque c’est un premier tome et que c’est toujours un peu un tome introductif.

AF : Oui, c’est vrai que c’est un peu long au début. Le problème est que j’essaie de faire des choses un peu originales, d’inventer un monde qui sort des sentiers battus, et donc il faut le poser sans que ce soit trop ennuyeux. Ça ne démarre sur les chapeaux de roue, mais quelque part, quand tu essayes de proposer quelque chose qui a priori n’est pas proposé ailleurs, tu es obligé parce que sinon tu largues le lecteur. Par exemple, le système de magie avec le tissage, j’ai été obligé de le détailler. Quand un type a une baguette magique, on n’a pas à faire des tonnes dessus, le gars attrape sa baguette et voilà. Dans ce cas-là, tu écris une page ou même une demi-page et c’est bon. Ici, on a 3 systèmes de magie originaux qui coexistent dans Alamänder. On a par exemple le système de magie de YArkhan qui est basé sur des concepts informatiques : un sortilège, c’est une suite d’instructions. Il y a la magie Xéol qui est très différente. A chaque fois, j’essaie de faire des systèmes qui a priori n’ont pas déjà été vus, et donc il y a un certain nombre de pages incompressible pour informer le lecteur sans l’ennuyer. C’est là que l’humour est intéressant aussi, car ça passe mieux.

V&S : J’ai bien aimé le système de petit paragraphe introductif au début de chaque chapitre, un peu comme si c’était tiré d’un manuel. Par exemple, j’ai adoré le petit passage chez les Dieux.

AF : Dans les séries, ils appellent ça le quatrième mur, quand il y a un rapport avec le spectateur. Je me suis dit : vu que ce sont des dieux, à priori ils sont omniscients et omnipotents, donc ils doivent connaître la vérité sur l’histoire et les romans. Le passage qui en général est aussi apprécié, c’est la postface du tome 1 où les héros parlent avec l’auteur.

V&S : Oui, j’ai bien aimé aussi.

AF : Pour finir sur ce tome 1, ce qu’il faut savoir, c’est qu’au départ le t1 et le t2 étaient en fait un seul et même tome. L’éditeur à qui je l’ai proposé m’a dit qu’il le prenait mais qu’il fallait le couper en deux parce qu’un seul gros tome ferait trop. Ça peut expliquer pourquoi c’est juste à la fin que les choses commencent à accélérer.

Le T'sank d'Alexis FlamandV&S : C’est vrai qu’à la fin, j’ai un peu eu l’impression que j’allais attraper le tome 2 et reprendre exactement où on s’était arrêté. J’avais l’impression d’être un peu à la fin d’un chapitre.

AF : Oui, il y a un « cliffhanger ». Par contre, ce que je n’ai pas voulu, c’est frustrer le lecteur en lui donnant la réponse à l’énigme de la tour dans le tome 2. C’est pour ça que j’ai dû réécrire une partie du tome 1, parce que je ne voulais pas qu’il ait la réponse à l’enquête de Jonas dans le tome 2, j’aurais trouvé ça déloyal.

V&S : D’accord, normalement, c’était plus loin dans l’histoire ?

AF : Oui, c’était un peu plus loin et donc j’ai recadré un peu les choses. Je ne me voyais pas dire au lecteur « tiens coco, si tu veux savoir pourquoi, achète le tome 2 ! », en tant que lecteur je n’aurais pas du tout aimé.

V&S : Bon, on a déjà abordé plein de choses sans même que je regarde mes fiches… Tout à l’heure on a parlé de ton éditeur, comment es-tu arrivé chez HSN en fait ?

AF : Ça a été assez long. Comme tous les apprentis auteurs, j’ai d’abord démarché les grosses boîtes. Dans le meilleur des cas, j’ai reçu une lettre type… Et puis après, il y a eu une petite maison d’éditions avec qui ça ne s’est pas bien passé. Elle a depuis fermé ses portes. Ensuite, je suis tombé sur un deuxième éditeur qui s’appelait L'Olibrius Céleste, ça ne va rien te dire du tout je pense parce qu’ils ont sorti en tout et pour tout 3 ou 4 bouquins. Ils ont publié par exemple le tome 1 mais pas le 2 parce qu’ils ont fermé avant. C’est pourquoi on trouve encore des tomes 1 avec une illustration de l’époque. A ce moment, je travaillais à l’OC avec Alexandre et Magali, ils s’occupaient des illustrations et je faisais les maquettes, c’était vraiment un travail d’équipe. Le problème c’est que l’éditeur a fait des choix que toute l’équipe a désapprouvé. Donc tout le monde est parti et la maison a fermé ses portes. Ce qui est bien, c’est que cette expérience m’a permis de me faire des contacts dans le métier et notamment de rencontrer Dimitri au moment où il ouvrait sa propre maison. C’était par l’intermédiaire d’Emmanuel Beiramar, qui bossait alors chez Fantasy.fr. Dans ce milieu, c’est incroyable mais tout fonctionne par contact. C’est rarissime qu’ils prennent un manuscrit qui leur a été envoyé par la poste…

V&S : Ce qui me fait penser que les petites maisons d’éditions sont quand même super courageuses, elles prennent souvent tous les risques, financiers surtout, pour lancer un auteur français ou francophone, et dès qu’il y a un auteur qui marche bien, les grosses maisons arrivent derrière et reprennent les auteurs. Je prends l’exemple des Éditions du Chat Noir avec Georgia Caldera, elle a très bien vendu, ils ont vraiment déniché un talent, ils ont même dû refaire un tirage et du coup J’ai Lu a racheté les droits. Et je me doute qu’en tant qu’auteur tu ne peux pas refuser une offre comme ça.

AF : Il me semble que quand on rachète des droits, l’éditeur prend aussi de l’argent. En tout cas, j’espère que Le Chat Noir a touché quelque chose. Ils ont une très bonne réputation d’ailleurs.

V&S : Je me doute qu’en tant qu’auteur une grosse maison qui te propose de te prendre dans son catalogue, ça se refuse difficilement.

AF : Au début, quand j’ai voulu être publié, je voulais être chez l’Atalante parce que je trouve qu’ils font du très beau boulot. Ils ne sont pas tombés dans les travers du succès et continuent à publier des ouvrages de qualité. Pour moi, ils sont un peu comme les gardiens du temple en SF. C’est  vrai qu’on marche un peu sur la tête, parce que des petites maisons comme L’Homme Sans Nom prennent des risques éditoriaux et financiers, parce que publier Alamänder, pour moi, c’était un risque. La Dernière Terre aussi, c’était un risque, car l’auteur a pris des a priori qui sont courageux : elle explore les personnages, la psyché, etc. avec un rythme qui prend le temps de la narration.

V&S : Moi je l’ai adoré ce bouquin, j’ai été bouleversée par la fin. Je les connaissais par leur travail d’illustrateurs et c’est comme ça que j’ai connu HSN.

AF : Est-ce que tu admets que c’était un risque de les publier ?

V&S : Oui, il y a eu une prise de risque parce que déjà c’est un pavé, et le tome 2 est aussi gros. Et puis c’est de la Fantasy qui se rapproche plus de celle de George Martin que de celle de Tolkien.

AF : Voilà, c’est une Fantasy plus littéraire, « historique ». Magali est passionnée de littérature historique et ça se sent. Et donc voilà : les petites maisons prennent des risques, ce n’est pas du tout-venant avec un héros qui sort son épée, des sorcières et des elfes. Et on marche sur la tête parce que les grosses maisons pourraient plus se permettre de prendre des risques financiers que HSN ou Le Chat Noir. Pour la petite anecdote, avant de trouver HSN j’avais envoyé mon manuscrit à Mnémos. Un an après, j’ai reçu une lettre d’eux qui me disait qu’ils avaient lu mon livre, qu’ils trouvaient que mon travail était d’une qualité remarquable mais qu’ils ne le prendraient pas parce que l’humour ne marchait pas et qu’ils n’en vendraient pas assez. Ils ajoutaient, et j’ai trouvé ça très drôle, qu’ils savaient cependant que j’avais trouvé un éditeur, qu’ils m’en félicitaient et me souhaitaient bon courage avec lui.

V&S : Et j’ai l’impression qu’en tant qu’auteur français c’est très dur de se faire une place, non ?

AF : Ah oui, absolument.

V&S : Parce que les grosses maisons font leur marché à Londres, Berlin, etc. et prennent des auteurs qui ont déjà marché outre-Atlantique mais peu de français finalement.

AF : Oui, c’est plus facile de vendre de la Fantasy avec un nom américain, tu t’appelles Neil York ça vendra mieux… Tu sais ce qu’on dit, nul n’est prophète en son pays. Deuxième chose, l’imaginaire n’est pas un genre respecté en France : nous sommes dans un pays cartésien, rationnel. Dans le pays de Pascal et de Descartes, pour qu’une littérature soit prise au sérieux, il faut qu’elle soit sérieuse.

V&S : Pour moi la littérature sérieuse, ce n’est pas possible.

AF : On est d’accord, moi non plus je ne peux pas, pourquoi j’irais lire des livres sur la réalité puisque la réalité je la vis tous les jours ? En France, on a une espèce de snobisme, il faut être sérieux, avoir une espèce de gravité et donc pour être un auteur de Fantasy et de SF il ne faut pas être français. Tu as raison, c’est difficile.

V&S : D’où certains qui prennent des pseudos…

AF : Bah… je trouve ça naze.

Le Menzohtain d'Alexis FlamandV&S : D’un côté ça permet de mieux vendre, mais d’un autre côté c’est critiqué parce que c’est un peu mentir.

AF : Je trouve que ce n’est pas s’assumer, tout simplement. Je suis un auteur français, je ne me vois pas prendre un pseudonyme américain ou à consonance anglo-saxonne, j’aurais l’impression de ne pas faire de la qualité et d’être obligé d’avoir recours à cet artifice.

V&S : Après, ça peut poser des problèmes aussi pour les rencontres avec le lecteur. A quel moment on dit qu’on est français, etc. On a vu ce que ça a donné avec Cassandra O’Donnell, qui est donc une auteur française qui a pris un pseudo et sur qui le mystère a plané un peu, le but étant de placer l’histoire aux Etats-Unis et d’avoir un nom anglo-saxon pour pouvoir exporter le bouquin, parce que ce n’est pas possible de vendre aux américain si ça se passe pas chez eux, etc. Si on ne compte que sur le marché français, c’est impossible d’en vivre…

AF : Oui, c’est clair c’est totalement impossible. Je crois bien qu’il n’y a que Pevel qui avec son brave nom français soit traduit aux Etats-Unis.

V&S : Au niveau édition, ça se passe comment ?

AF : Je fais 7 ou 8 relectures après le premier jet, et c’est une bonne moyenne. Tu as Werber qui a réécrit je crois 15 fois les fourmis, c’est un grand malade.

V&S : Certains pensent qu’on ne devrait publier que des bonnes chroniques, pour ne pas froisser les auteurs. Qu’est-ce que tu en penses ?

AF : Non, une chronique n’a d’intérêt que s’il existe des chroniques positives et négatives. S’il n’y a que des critiques positives, pour moi cela enlève de la valeur à l’exercice. En tant qu’auteur, quand je lis une critique positive, je suis content, et pourquoi ? Parce que je sais que j’aurais pu avoir une critique négative. Si en tant qu’auteur je vais sur un site et que je ne vois que des critiques positives, je vais me dire « ben voilà, une parmi d’autres ». Quel est le prix de cette critique, son intérêt ou sa valeur ? Elle n’en a aucun puisqu’il n’y a que des critiques positives !

V&S : Il faut aussi voir qu’il y a des critiques négatives qui sont construites et qui permettent aux auteurs d’avancer. Si 15 personnes soulèvent le même problème dans ton roman, tu vas en tenir compte, tu ne vas pas dire « c’est des cons, je suis un pauvre auteur incompris » ?

AF : Tu te le diras si tu écris pour exister. Je pense que les auteurs qui posent problème se sont jetés dans l’écriture parce qu’ils n’ont rien d’autre à côté ou qu’ils ont un problème de confiance en eux. Tu vois, c’est comme l’anneau de Sauron. Il met tout dans son anneau, il le perd et il se retrouve comme un con. L’auteur, quand tu le sabres, c’est comme si tu lui disais que lui était un abruti. Il n’arrive pas à avoir de distance. Il y a pas mal de névrosés parmi les auteurs, tu sais.

V&S : Déjà, pour être artiste quelque part, y’a un petit truc qui est différent.

AF : Oui, il y a un truc qui ne va pas, c’est certain. Quand on écrit, ce n’est pas parce qu’on a envie de « partager quelque chose avec ses lecteurs », c’est parce qu’on a envie d’être aimé, tout simplement. On se sent aimé à travers nos bouquins. Je suis persuadé que dans tout artiste, dans toute personne qui donne quelque chose à voir, il y a une faille, plus ou moins grande. Quelqu’un qui est bien dans sa peau ne ressent le besoin de dire « regardez-moi !». Il ne passe pas un an devant son PC à en baver, à écrire son truc pour avoir éventuellement le plaisir qu’on le regarde. C’est aussi ce « regardez-moi » qui crée des auteurs difficiles, incapables de distance.

V&S : C’est dommage, parce que ça pourrit un peu les relations. Je sais que je suis une lectrice avant tout et que quand j’ai commencé mon site, je n’aurais jamais imaginé pouvoir rencontrer des auteurs comme ceux que j’ai rencontrés ! J’ai commencé par les romans de Laurell K Hamilton et Anne Rice. Bon, je n’ai encore jamais rencontré Anne Rice, j’aimerais bien. J’ai rencontré Patricia Briggs et elle est géniale.

AF : Tu sais, je ne connais pas beaucoup de connards chez les grands. J’ai rencontré Salvator y’a pas longtemps, on était sur la même conférence. Ces gars-là n’ont rien à prouver, ils sont là pour le fun et pour la rencontre.

V&S : Voilà, il y a quelques rencontres que j’ai eu la chance de faire, avec des auteurs américains. Déjà rien que de dire que c’est des américains, c’est bête mais ça fait quelque chose. Des français, maintenant que je fais pas mal de salons, j’en croise beaucoup, mais ça ne fait pas pareil. Ah si, j’ai fait une dédicace avec Daniel Pennac, je n’ai malheureusement pas pu discuter avec lui mais j’étais super contente de pouvoir le voir 5 minutes car c’est un auteur que j’adore.

AF : Oui, tout à fait, ça a un côté magique de rencontrer un auteur qu’on adore. Quelque part, c’est un peu ton salaire de rencontrer comme ça des personnes dont tu as lu et aimé les livres.

V&S : On digresse, alors on va revenir à nos moutons (rires). On va revenir sur tes influences et ce qui t’a poussé à écrire.

AF : J’ai vraiment commencé à lire vers 10 ou 11 ans avec le Hobbit. A l’époque, tu avais le Seigneur des Anneaux avec un tome bleu, un tome vert et un tome jaune, pas d’illustration, rien. Et à côté, tu avais Bilbo avec une illustration, alors j’ai pris ça. J’ai adoré, j’ai enchaîné avec le Seigneur des Anneaux, et ensuite je n’ai plus jamais arrêté ! J’ai lu énormément de SF et de Fantasy, mais à un moment donné, j’ai trouvé qu’en Fantasy on tournait en rond, plus rien ne me « nourrissait ». La Fantasy, c’était des orcs, elfes, dragons, épées magiques, sortilèges, baguettes, etc., bref, toujours la même chose. Il y a eu de la Fantasy originale dans les années 50, 60 et j’ai eu l’impression qu’il n’y avait plus d’innovation, qu’il n’y avait plus de choses originales.

V&S : C’était un peu du réchauffé de Tolkien.

AF : Ah oui. Déjà, David Eddings a fait du sous-Tolkien. Ça a marché pour lui, mais ensuite des dizaines d’auteurs ont fait la même chose. Du coup, je n’arrivais plus à trouver des choses qui me plaisaient. Et puis un jour, je me suis dit « arrête de râler et propose quelque chose ». Mes auteurs fétiches sont par exemple Jack Vance avec Cugel ou encore La Terre mourante. On aime ou on n’aime pas, mais c’est extrêmement original, c’est un système de magie qu’on n’a pas l’habitude de voir. J’ai beaucoup aimé Fritz Leiber avec le Cycle des épées, parce qu’il y avait un côté très humain. Autre chose que j’ai beaucoup aimé, c’est Les Princes d’Ambre de Roger Zelazny. Pour moi c’était aussi une révélation, c’était extrêmement original avec une histoire construite où on ne se contentait pas de faire du combat avec le sortilège qui tombe quand il doit tomber, et des personnages dont on sait dès le début qui est le méchant, qui est le gentil, tu vois ce que je veux dire ? Un peu plus complexe, comme sait très bien le faire George Martin. C’est l’histoire qui compte, les personnages sont au service de l’histoire et non le contraire.

V&S : Oui, mais George tue trop de personnages.

AF : Oui, c’est sûr, ça balance, mais en même temps est-ce qu’on peut le lui reprocher ? Donc voilà, mes influences, ce sont ces auteurs qui sont un peu tombés dans l’oubli. Ils proposaient des choses très intéressantes, mais qui ne sont plus mises en avant aujourd’hui parce qu’il est plus difficile de proposer un auteur qui offre de l’originalité. C’est plus facile de refourguer à des lecteurs des choses qu’ils connaissent déjà. C’est comme les films, c’est plus facile de proposer un énième film de super héros qu’un film de science-fiction ou d’anticipation innovant.

V&S : Ou encore de refaire un reboot ou une quinzième suite….

AF : Tout à fait, c’est insupportable !

V&S : Bon, personnellement j’aime les films de super héros parce que ce n’est pas prise de tête, on en prend plein la vue, voilà.

AF : Il y en a que j’aime beaucoup, mais quand tu vois le dixième ou la suite du même truc… Là tu as Captain America 2 qui va sortir, Thor 2, Green Hornet 2, Machin 3 et tu te dis au bout d’un moment, ça suffit… Mais la science-fiction au cinéma, en ce moment, ce n’est que ça. Et qu’est-ce que tu as en Fantasy ? A part Tolkien, tu n’as rien.

V&S : En Fantasy… À part le Hobbit en ce moment, de la Fantasy au cinéma il n’y en a pas.

AF : Non, il n’y en a pas. Bref, pour moi le fait d’écrire c’était dire au lecteur : « si vous avez aimé ce que je fais, lisez ces auteurs-là ». Souvent en salon, on me dit que ce que j’écris c’est du jamais vu, je réponds « Mais enfin non, il existe des choses originales, lisez tel ou tel auteur ! » Ces auteurs ont proposé des idées qui étaient travaillées, ils ne prenaient pas le lecteur par la main en disant « lui c’est le gentil, lui c’est le méchant ». Et c’est ça qui m’énerve un peu : à ces jeunes lecteurs qui ne connaissent pas la Fantasy, on refourgue des trucs interchangeables qui appauvrissent le genre.

Le Xéol d'Alexis FlamandV&S : Du coup, à un moment on a l’impression de lire tout le temps la même chose.

AF : Est-ce que tu lis de la SF, un peu ?

V&S : Non, j’ai beaucoup de mal avec la SF à cause du côté scientifique.

AF : Ah oui, tu es une vraie littéraire.

V&S : Oui, c’est dommage parce que mon père m’a donné sa bibliothèque parce qu’il n’avait plus la place, et donc j’ai beaucoup de classiques du genre, les Peter F Hamilton, les Orson Scott Card, les Asimov, etc.

AF : Il doit y avoir des trésors de l’âge d’or. C’est vrai que le fait scientifique peut être rebutant.

V&S : Oui, et puis je trouve que la SF, c’est exigeant, c’est assez élitiste. Je pense que c’est pour ça qu’il n’y a pas un très gros public pour la SF, parce que c’est difficile ou que ça fait trop réfléchir.

AF : C’est vrai qu’il y a un jeu en SF, l’auteur te dit « tiens, plonge dans mon bouquin », et pendant un bon moment, tu as l’impression de ne rien comprendre. Et puis petit à petit, les choses se mettent en place et tu prends du plaisir mais il faut s’accrocher. Mais la SF dans les années 60, c’était quoi ? C’était des extraterrestres qui enlevaient des jeunes terriennes pour en faire Dieu sait quoi, et puis après ça a énormément évolué. La SF est devenue très intelligente, il y a des choses en SF qui sont de purs chefs d’œuvres, qui sont modernes et qui ont été écrits récemment. Alors qu’en Fantasy, j’ai l’impression que c’est le contraire. Il y a eu des géants comme Tolkien, et puis petit à petit on va vers des trucs qui se ferment de plus en plus, alors que la Fantasy pourrait être tellement autre chose. On pourrait explorer des mondes avec des créatures bizarres, des écosystèmes, mais non. Je ne comprends pas pourquoi, alors que la SF a explosé, la Fantasy se restreint de plus en plus à des stéréotypes.

V&S : Tolkien, je ne dirai pas que c’est le créateur, parce qu’il y en avait un peu avant lui, mais presque. Du coup tout, le monde tourne autour des codes qu’il a créés.

AF : Oui mais regarde, tu connais Dune ?

V&S : J’ai lu le 1er tome de Dune, c’est peut-être un des seuls trucs de SF que j’ai lus !

AF : Bon, Dune est considéré comme un bouquin fédérateur en SF. Il y en a eu avant Dune, mais je pense que c’est le pivot de la SF moderne pour sa qualité d’écriture et l’exploration du monde, etc. Mais ce n’est pas parce que Dune a été un chef d’œuvre que les gens ont continué à faire du Dune ! Si on faisait comme pour la Fantasy, on aurait 50 planètes des sables avec des vers géants !

V&S : On a Beetlejuice ! (Rires)

AF : J’adore Beetlejuice ! Mais je veux dire, personne n’a refait un bouquin de SF avec un ver géant ! Alors pourquoi on fait de la Fantasy avec des elfes ? Des créatures, il y en a plein ! Pourquoi toujours des orcs et des elfes ?

V&S : Ce qui m’amène aux poulpes ! Pourquoi des poulpes ?

AF : Pourquoi pas des poulpes ?

V&S : Oui pourquoi pas, mais j’ai trouvé ça énorme la façon de le piloter en mettant le bras dedans, ce genre de choses.

AF : Si tu veux, au début il y a une idée, c’est comme pour le champ de blé carnivore. A un moment donné tu te dis « bon, y’a un champ de blé, et s’il bouffait des gens ? » L’idée, c’est rien, n’importe qui peut avoir une idée, même farfelue, mais après il faut la rendre crédible. C’est-à-dire développer tout ce qui va autour, tous les petits détails qui font qu’on construit et qu’on arrive à faire croire au lecteur que c’est normal. On te montre un truc complètement farfelu comme un poulpe terrestre, le mec se dit « c’est pas possible, mais il arrive à m’y faire croire un petit peu », et l’auteur y arrive justement parce que les poulpes ont un système d’ouïes, on les contrôle avec les nodules du plaisir qui sont situés là, et puis pour le champ carnivore, il y des paysans guerriers pour le faucher, etc. Ce sont tous ces petits détails qui crédibilisent un texte et donnent du plaisir au lecteur, parce que ce n’est pas parachuté. Si j’avais parachuté un poulpe terrestre ou le blé carnivore comme ça, sans développer ce qu’il y a autour, le lecteur ne m’aurait pas suivi, il m’aurait dit « vous vous foutez de moi ! »

V&S : Oui parce que c’est clair que le coup du poulpe terrestre géant en guise de navire de guerre…

AF : Ça c’est la suite, c’est un processus qui est utilisé en SF. Tu pars d’une idée et tu en envisages toutes les conséquences. Admettons, ils ont ça comme monture, il y en a peut-être des plus petits, des larves de skorjs, et des plus grands, pourquoi pas faire des vaisseaux géants ? Et tu verras dans le tome 2 et dans le tome 3 que le blé est développé. Ce qui m’intéresse, c’est de pousser une idée jusque dans ses retranchements, voir jusqu’où on peut aller. Et tu verras qu’avec le blé, je vais assez loin parce qu’il y a des sous-couches, des choses qu’on ne sait pas et qu’on découvre. Il y a des lecteurs qui m’ont dit qu’ils ne s’attendaient pas qu’il se passe ça avec le blé. C’est pourtant en droite ligne de l’idée de départ. N’importe qui peut avoir une idée,  mais la développer c’est autre chose. Et je pense que le travail d’un auteur c’est ça, développer.

V&S : Les champignons aussi c’est le même principe.

AF : Ce qui m’intéressait avec les champignons c’est qu’ils ne sont ni du règne animal, ni du règne végétal, ils sont entre les deux, l’univers du champignon est vraiment très particulier. Ils ont des protéines qu’on ne trouve que dans le monde animal par exemple, c’est quelque chose de très bizarre. Alors je me suis dit, allez on va partir là-dessus, faire des espèces de champignons géants sans chapeau puisqu’ils grandissent trop vite, et puis ça me permettait aussi d’introduire d’autres idées comme le système de spores qui se battent avec les épis. Parce qu’avoir des épis de blé qui se battent et qui cherchent à bouffer les gens c’est une chose, mais s’il n’y a rien pour les contenir ? Donc il faut qu’il y ait un écosystème, un contrebalancement, et ce sont les champignons avec ce système de spores par millions. Ce sont des choses qui rentrent en cohérence les unes avec les autres. Et petit à petit, ça peut même faire avancer l’histoire. Là, je suis en train d’écrire le tome 4, il y a quelqu’un qui s’amuse à disséquer un skorj de guerre, c’est un détail mais qui est important pour la suite de l’histoire.

Le champ de blé carnivore vous remercie de votre visite...

V&S : Du coup tu as un univers super complexe.

AF : Plutôt cohérent.

V&S : Tu as dû le cogiter un moment…

AF : Je vais te dire comment j’ai fait, c’est marrant parce que ça rejoint la conférence que je viens juste de faire au Comic Con, qui s’appelait « jeu de rôle et littérature ». Je suis un grand joueur de jeux de rôles, tu pratiques ?

V&S : Oui, depuis peu. Il y a environ un an, on a formé une équipe avec des amis et on joue à Donjons et Dragons.

AF : C’est pas le plus compliqué. Mais c’est fun, Donjon & Dragon, on s’amuse.

V&S : C’est marrant mais ça peut être un peu long, surtout au début parce qu’on ne connaît pas très bien nos personnages, etc. On a fait 2 équipes pour pouvoir changer de maître du jeu, et du coup mon 1er perso c’est un mage et c’est trop dur un mage pour débuter en fait (rires), c’est compliqué avec les sorts, tout ça.

AF : Vous jouez avec quelle édition ?

V&S : La 3.5, il paraît que la 4 est pas top…

AF : On pourra en discuter, mais elle a été très critiquée justement parce que le système de jeu a changé et que ça s’est rapproché des jeux de figurines. Moi, la 4e édition je la trouve très bien, les règles sont très bien, mais les scénarios sont des suites de rencontres donc tu as beaucoup moins de role playing, ce n’est pratiquement que de la baston. Il y a moins le côté théâtral, le jeu du personnage.

V&S : Ça, c’est un peu dur quand on débute parce qu’on est tellement dans nos fiches à voir ce qu’on va pouvoir faire qu’on zappe un peu le côté théâtral, mais ça vient petit à petit. Tu sais qu’on est deux filles quand même dans notre groupe !

AF : C’est super, ça ! Une table de jeu de rôle avec deux filles, c’est rare. Les filles, et c’est quelque chose qui me fait très plaisir, s’y mettent de plus en plus. Peut-être qu’au début les nanas ne jouaient pas parce que qu’elles pensaient que c’était un truc de mec, mais ce n’est pas du tout un truc de mec, les jeux de rôle ! Il y a même un côté très féminin au jeu de rôle, dans la manière d’interagir, de dialoguer !

V&S : Je pense que c’est comme pour les jeux vidéo, les filles s’y mettent de plus en plus. C’est parce que pendant très longtemps ça a eu comme image des ados boutonneux qui jouent dans la cave des parents. Je ne sais pas si tu connais la série The Big Bang Theory ? Ben voilà, il y a tous les clichés dedans.

AF : C’est en effet un peu l’idée que les filles se faisaient du jeu vidéo. Mais quand on y réfléchit, le jeu de rôle, c’est très riche ! Tu fais travailler ton imagination, c’est comme quand tu lis un livre. C’est aussi du théâtre, tu n’es pas obligé de tout théâtraliser mais quand tu parles au brave aubergiste, tu lui parles vraiment, au gars ! Il y a de l’improvisation aussi, je trouve ça très complet ! Il n’y a pas beaucoup de loisirs qui font autant travailler le cerveau et qui ont autant de facettes.

V&S : Malheureusement, les gens qui n’ont pas d’imagination ne comprennent pas et ça a eu une très mauvaise réputation, comme aujourd’hui pour les jeux vidéo.

AF : Ah oui, dans les années 80, quelqu’un qui faisait du jeu de rôle, c’était un gars qui faisait des messes noires dans un cimetière…

V&S : Et aujourd’hui c’est le jeu vidéo, regarde à chaque fois qu’il y a une tuerie, c’est de la faute des jeux vidéo.

AF : Effectivement, les jeux de rôle sont passés un petit peu en dessous de la ligne de radar, alors qu’ils ont été pendant longtemps dans la ligne de mire. Pourquoi ? Parce que le jeu de rôle aujourd’hui c’est une toute petite niche, c’est plus rien en terme de nombre de joueurs. Je pense que si un jour le jeu de rôle reprend de l’ampleur, on reviendra comme dans les années 80.

V&S : C’est sûr que ça a dû beaucoup diminuer parce qu’on a eu beaucoup de mal à trouver des figurines D&D pour nos bonhommes ! Il n’y a que des figurines Warhammer à peindre et c’est super cher ! Bref, tu allais me dire comment tu avais créé ton univers en partant du jeu de rôle…

AF : Oui ! En fait je pense que la mauvaise façon de faire, surtout quand on vient du jeu de rôle, c’est de créer son monde au départ, détaillé, voire hyper détaillé, et ensuite de commencer à écrire son bouquin. Le problème, c’est que quand tu as passé plusieurs mois à détailler ton monde, même s’il est très original, qu’est-ce que tu as envie de faire ? Tu as envie d’en fourguer le plus possible dans ton livre. Ce qui fait que tu as un bouquin de Fantasy qui devient une encyclopédie… Alors t’as le peuple des trucs qui vient de tel pays et qui ont tels animaux et qui sont amis avec tel autre peuple… gonflant !

V&S : Oui, en gros l’intro du Seigneur des Anneaux

AF : Un peu, malheureusement. C’est-à-dire que tu en mets tellement que l’histoire est un peu en retrait, l’important pour l’auteur étant de rentabiliser son monde. Il veut partager avec le lecteur le monde qu’il a créé lui, c’est son truc à lui, mais l’histoire passe un peu au second plan. Je pense que c’est un piège. Quand j’ai commencé le premier tome je ne savais pas trop où ça allait, j’avais une situation dans la tête, je suis parti là-dessus. Ça a marché et j’ai eu des idées. Ensuite, j’ai eu d’autres idées qui se sont greffées : « tiens, je pourrais rajouter ça, et puis ça », etc. Le plus difficile quand on fait comme ça, c’est qu’il faut que les choses entrent en cohérence les unes avec les autres. Donc, petit à petit, le monde s’est créé en même temps que l’histoire. Parce que ce qui m’intéresse, encore une fois, c’est l’histoire. Je marche beaucoup au rebondissement, au coup de théâtre, tu verras ça dans le tome 2, dans le 3, le 4, il y a régulièrement des coups de théâtre parce que je n’ai pas envie de laisser le lecteur s’ennuyer. Pour faire ça, il faut que ton histoire soit vraiment construite, et donc au début il a fallu faire entrer ces éléments imaginaires en résonance pour créer une cohérence, pas simplement poser des trucs sans liaison. Après un moment, je me suis arrêté, pendant 6 mois j’ai bossé mon synopsis. Ce qui fait que maintenant, je suis dans le tome 4, quand j’avance je sais où je vais. J’ai mon organigramme avec une ligne de temps, etc. De toute façon, quand tu écris un cycle, tu es obligé sinon tu tournes vite en rond.

À suivre...

 


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