Plongée dans le passé avec Deborah Harkness !
J'ai enfin eu l'immense honneur et l'immense joie de rencontrer Deborah Harkness à l'occasion de sa venue en France pour la sortie de l'Ecole de la nuit, le second tome de sa saga All Souls.
J'ai découvert une femme adorable et tellement passionée par l'histoire que le courant ne pouvais que passer ! Elle est passionante, elle est drôle et elle vraiment abordable malgré son impressionnant bagage universitaire (et en professeur d'histoire d'université, j'en connais un rayon, croyez-moi !).
Nous nous sommes retrouvés dans les bureaux de Calman Levy pour 20 minutes d'interview, au calme, en tête à tête pour discuter de ce nouveau roman, d'Histoire et de magie.
Je vous laisse découvrir notre entretien en podcast (en anglais) et en écrit !
Questions de Zaza et Exécutrice; Interview réalisée par Exécutrice, retranscrite par Exécutrice; traduite par Chani, Nesshime et Exécutrice; corrigée par Siana.
Compte rendu de l'interview
V&S : La ressemblance entre vous et Diana est assez évidente. L'avez-vous fait par facilité ou plutôt à cause de votre passion pour l'histoire et l’enseignement ?
Deborah Harkness : J’ai fait ce choix parce que j'essayais d'imaginer ce que feraient comme travail de telles créatures si elles existaient vraiment. Et comme les sorcières sont connues pour leur attrait pour la tradition, l’histoire, j'ai pensé qu'elles pourraient être professeurs, infirmières, bibliothécaires, anthropologues ou historiennes, donc j’ai choisi de faire Diana à mon image. En réalité elle travaille dans un domaine légèrement différent du mien, sur une période un petit peu plus tardive. Elle fait certaines choses que je fais mais une des choses qui me frappe toujours, c’est que l’on demande souvent aux auteurs féminins si, d’une certaine manière, leurs héroïnes ne doivent pas leur ressembler. Donc je me suis dit « oh je vais vraiment faire en sorte qu’elle me ressemble, personne n’aura à se poser la question ». Mais, on ne pose jamais la question à Sanderson ou d’autres auteurs masculins, genre « Êtes-vous Dresden ? » à Jim Butcher. Mais c'est intéressant que les lecteurs se demandent toujours « pourquoi l'a-t-elle faite ainsi ? », Donc oui je ressemble à Diana par certains aspects et parfois nous sommes très différentes. Ce sont d’ailleurs les parties mettant en scène nos différences qui sont les plus amusantes à écrire.
V&S : Et bien sûr, nous ne savons pas ce qui n'est pas vous, parce que nous ne vous connaissons pas. (Rires)
Deborah Harkness : Exactement ! Donc vous voyez la scène, vous voyez qu'elle est historienne et vous pensez : oh c'est elle ! Mais non, non, non ! (Rires)
V&S : Une partie du premier tome se situe en France, près de Clermont-Ferrand. Le second tome se situe quant à lui dans l’Europe du XVIe siècle. C’est assez inhabituel pour un auteur américain. Pourquoi avez-vous choisi la France, l’Angleterre et l’Europe au lieu des Etats-Unis ?
Deborah Harkness : Quand j’ai écrit ce livre, je n’avais aucune idée que quelqu’un quelque part le lirait. J’écris, c’est tout. Quand j’ai imaginé qui pourrait le lire, j’ai pensé à mes propres étudiants aux Etats-Unis, dont beaucoup ne voyagent pas et pensent que le monde se réduit aux USA. J’enseigne l’histoire européenne, et je leur dis toujours « le monde est vaste et riche en Histoire, vous devriez le découvrir ». C’est pour ça que ça ne m’intéresse pas du tout d’écrire sur les Etats-Unis. Je veux vraiment éveiller la curiosité des autres sur des pays différents, et les encourager à s’y rendre. Et aujourd’hui, il y a des américains, qui n’étaient jamais sortis de leur pays, qui font le voyage pour visiter l’Auvergne et Oxford parce qu’ils ont l’impression de connaitre ces endroits (grâce au livre) et qui veulent les voir de leurs propres yeux. Et je trouve ça génial, c’est exactement ce que je voulais ! Dans mes rêves les plus fous c’est ce que j’imaginais, je voulais que les gens se disent « où est Clermont-Ferrand ? », et s’y intéressent. C’est pour ça que j’ai fait ça.
V&S : C’est sympa. Mais le château de Sept-Tours n’est pas à Clermont-Ferrand.
Deborah Harkness : Oui, c’est un château de la Loire, mais ce n’est pas ce château là que j’ai utilisé. J’ai utilisé le Château Dauphin qui se trouve à Pongibeaud.
V&S : Parce qu’il y a un château des sept tours en Touraine.
Deborah Harkness : Oui, il se surnomme lui-même château des sept tours, mais ce n’est pas le mien, celui-là est plus récent. J’ai utilisé un très vieux château avec une tour carrée au milieu, et il y avait autrefois un mur d’enceinte orné de sept tours. Je n’ai su qu’il y avait un château du même nom que longtemps après avoir terminé le livre.
V&S : Votre travail non-romanesque traite de la même période historique que L’Ecole de la Nuit, l’Angleterre élisabéthaine. Qu’est-ce qui vous plaît tant à cette époque ?
Deborah Harkness : Ce qui me plaîttant dans le XVIe siècle, c’est que tout a changé. La manière dont les gens s’étaient habitués à être, le fait qu’il n’y ait plus qu’une religion dans l’Europe de l’Ouest qui soit le catholicisme, il y a eu beaucoup de changements dans le monde. C’est l’époque de Copernic, la technologie est bouleversée, et l’imprimerie est en pleine croissance. Donc j’aime cette période parce qu’elle est très confuse, c’est comme si toutes les anciennes manières de faire les choses étaient caduques et que personne ne savait à quoi ressemblerait le futur. C’est vraiment pour ça que j’aime cette époque, parce que c’est une époque si excitante en matière de changement et c’est une des raisons pour lesquelles j’ai choisi de l’étudier et non l’époque médiévale ou moderne.
V&S : J’ai moi-même étudié les XVIIe et XVIIIe siècles français.
Deborah Harkness : Aux XVIIe et XVIIIe siècles, vous le savez parce que vous l’avez étudié, c’est… c’est comme si tout le monde se réveillait et se disait « ok, et si on y pensait rationnellement ? » et tout semblait si clair et évident. Au XVIe siècle, rien n’était évident, les gens erraient un peu partout, essayant de savoir ce qu’il allait se passer ensuite, alors que tout changeait si vite autour d’eux. La découverte du Nouveau Monde, des Amériques, il y avait tellement de nouvelles choses que le XVIe siècle était complètement saturé, dépassé. Cela m’intéresse beaucoup.
V&S : D’où vous vient votre fascination pour l’alchimie et la magie ?
Deborah Harkness : Je pense que cela date un peu, quand j’étais étudiante à l’université, et que j’ai appris qu'il fut un temps, tout le monde croyait que la magie et l’alchimie étaient réelles ! Exactement comme nous savons que le calcul et la physique sont réels. Ils croyaient que ces choses étaient 100% vraies, et ils n’étaient pas stupides, vous savez, ils n’étaient même pas superstitieux comme on le dit. Tout leur système allait dans ce sens, c’était leur manière de voir le monde. Ça m’a fait tiquer, en quelque sorte : pourquoi, pourquoi croyaient-ils en ça alors qu’il nous semble évident que ces choses ne sont pas réelles ? Donc j’ai commencé à me questionner, vers 1982, et je suis toujours en train de me demander, je veux dire, c’est la raison pour laquelle j’ai étudié toute ma vie, pour répondre à cette question. Le fait que nous devons considérer est que nous croyons en la gravité et aux lois newtoniennes depuis, quoi, 300 ans ? Ils ont cru en la magie et en l’alchimie pendant des milliers d’années. Et nous pensons que nous sommes tellement intelligents…
V&S : Ce qui répond à ma question à propos de Matthew, j’allais demander s’il était inspiré d’un personnage réel ou s’il était le pur fruit de votre imagination.
Deborah Harkness : Il est inspiré d’un poète très mystérieux et décédé du XVIe siècle. Une des choses que je dis souvent c’est que je connais Matthew depuis très longtemps. Matthew Roydon s’intéressait à la science et c’est une des raisons pour lesquelles Matthew est un scientifique. Matthew Roydon aimait la poésie et il semblerait qu’il chantait et ce sont des choses que fait Matthew aussi. Matthew Roydon était un espion et donc Matthew Clermont est un homme très secret qui aime garder beaucoup de choses pour lui. C’était très amusant de mettre toutes ces choses dans le personnage moderne.
V&S: j’ai été étudiante en histoire, donc je suppose que vous rêveriez d’avoir un pouvoir tel que celui de Diana et de pouvoir voyager dans le temps et voir de vos yeux comment c’était, n’est-ce pas ?
Deborah Harkness : je pense que c’est le rêve de beaucoup d’historiens, de pouvoir vraiment voir un événement, d’y être. Mais si l’écriture de ce roman m’a appris une chose, c’est que je ne veux plus y être ! Je pense que je me contenterai de m’asseoir dans mon bureau et de lire des livres en essayant de m’imaginer comme ça pouvait être, car ça m’est devenu très clair en écrivant, les choses que nous n’étudions jamais en cours d’histoire et qui manquent. Par exemple, je n’avais jamais vu pour de vrai des pièces de l’époque élisabéthaine. J’avais bien sûr vu des photos mais je n’avais jamais vraiment vu de pièces du XVIe siècle. Quand vous regardez les photos elles ont toutes l’air d’avoir la même taille, donc je suis allée au musée et en fait elles sont minuscules ! La plupart de celles qui étaient utilisées par les gens pour acheter des choses étaient vraiment très, très petites ! Egalement, personne ne m’avait appris à quelle vitesse on se déplace à cheval au mois de novembre au trot ou au petit galop et donc je ne savais pas combien de temps il fallait pour aller quelque part. Il n’y avait pas d’horaires de train à l’époque (rires) ! Ce sont tous ces petits détails qui peuvent vous trahir, vous savez ce que dit Diana dans le livre, que ce sont les petites choses qui vous trahissent auprès des gens. J’ai donc lu beaucoup de choses sur la façon dont les espions étaient découverts pendant la Seconde Guerre Mondiale. Une des choses qui trahissait souvent les américains, c’est notre façon de tenir nos couverts, et c’est une chose tellement habituelle et naturelle qu’il faut y penser tout le temps, à chaque fois car le moindre oubli peut faire que tout le monde saura que vous n’êtes pas qui vous prétendez être. Donc j’ai essayé de penser à toutes ces petites choses similaires de l’époque.
V&S : Le Livre perdu des sortilèges a eu beaucoup de succès, comment est ce qu’on gère une si soudaine notoriété ?
Deborah Harkness : C’est très étrange, vous savez quand j’ai commencé à écrire le livre en 2008, j’étais ce professeur d’université de 43 ans qui n’avait jamais rêvé d’écrire un roman et je n’avais jamais imaginé, comme je vous l’ai dit tout à l’heure, que ce roman serait lu. Lorsque je l’ai vendu, j’ai commencé à me dire qu’il serait peut-être lu par quelques personnes. On ne peut même pas imaginer quelque chose comme ça et donc il n’existe aucun moyen de se préparer. Ce qui me permet de garder la tête froide c’est que dans mon métier de professeur, j’arrive dans un endroit et miraculeusement il y a des gens là, et on parle de livres et d’idées, puis je rentre à la maison, je réponds à des emails et j’écris des romans. Maintenant je vais dans des endroits pour parler de livres et d’idées, sauf qu’à la place de mes étudiants il y a les gens qui lisent mes livres, puis je rentre à la maison et je réponds à des questions sur Facebook, puis j’écris des livres. Donc tant que je me focalise sur cette partie et pas sur Cosmo (rires), ça semble très normal et agréable. C’est vrai qu’il y a parfois des moments, comme lorsque vous entrez dans une librairie à la gare et qu’il y a une pile énorme de votre roman ou alors lorsque vous lisez un magazine et qu’il y a votre photo dedans ! Alors je la regarde et je me dis « ne pense pas à ça maintenant, pense juste que tu vas parler de livres et ensuite rentrer à la maison pour écrire ! ». J’essaie juste de rester très, très normale, c’est ce que je fais.
V&S : En tant qu’historienne, n’était-ce pas dur de modifier des faits historiques pour y intégrer des personnages de fiction ?
Deborah Harkness : Non, c’était drôle, c’était très drôle ! Une des raisons à cela est que depuis le tout début de l’écriture de ces livres, je pensais écrire un livre en trois parties : le début dans le présent, le milieu dans le passé et la fin dans le présent. Et dans la partie du milieu il y aurait eu un vampire et ce vampire serait un homme du nom de Matthew Roydon, car j’ai fait ma thèse en Master sur Georges Chapman qui a écrit un poème en 1594 dédicacé à un homme très frustrant appelé Matthew Roydon. Peu importe combien j’ai essayé de le trouver, je ne pouvais pas. Il connaissait tout le monde, a travaillé pour la Reine, était le meilleur ami de Christopher Marlow et Philip Sydney, il connaissait tout le monde et un jour, il a juste disparu ! Quand Christopher Marlow a été assassiné, ils ont enquêté et quand ils demandaient « Savez-vous ce qu’il s’est passé dans cette taverne ? », les gens répondaient juste qu’ils n’en avaient aucune idée, mais que s’ils trouvaient Matthew Roydon, il saurait sûrement, mais personne n’a jamais su où il était, il a disparu dans la nature. Cela m’a préoccupée pendant des années, et quand j’ai réfléchi à comment serait mon vampire, je me suis dit qu’il serait comme Matthew Roydon. Il connaissait toutes les célébrités, a voyagé dans les plus hautes sphères mondaines, et un jour « pfut », parti, sans laisser de trace. Je l’ai donc utilisé pour modeler le Matthew moderne, et c’était amusant d’utiliser des éléments qui me tracassaient depuis 1990 et de les placer dans ma fiction. C’était très amusant. Je me suis aussi imaginé ce que la reine Elisabeth, terrifiée à l’idée de vieillir et mourir, dirait à un vampire qui ne vieillit pas et ne meurt pas. Tout cela était très drôle.
V&S: Est-ce que vous allez continuer à écrire des fictions ou plutôt revenir à un travail plus académique ?
Deborah Harkness : C’est une très bonne question, je n’en ai aucune idée ! Je pense que quand j’aurai terminé d’écrire le troisième tome je vais aller dans un endroit très calme et juste contempler le paysage, la montagne ou la mer, pour un moment, et repenser à ce qui m’est arrivé les cinq ou six dernières années. Je n’avais jamais prévu ni anticipé que tout ceci allai se passer et je pense qu’il serait intéressant de m’asseoir un moment et de réfléchir à ce que je veux faire après. Je sais que j’ai encore des histoires à raconter, qu’elles soient de fiction ou pas je ne sais pas. J’ai étudié beaucoup d’histoire et j’ai donc beaucoup de matériel sur lequel travailler. J’aimerai avoir une boule de cristal et voir le futur, mais pour le moment je n’en ai aucune idée.