Cinq pas sous terre
4° de couverture
Début de l’été, près de Toulouse.
Jabirah se réveille dans une cave, malade et incapable de faire un geste. Une femme ne tarde pas à la rejoindre. Elle dit s’appeler Muriel et être une engeôleuse d’esprits, une sorte de médium dont le but est de protéger l’harmonie entre les ombres et les humains. Cette illuminée propose à sa prisonnière un marché qui ressemble plutôt à un chantage : la servir, en échange de quoi elle lui rendra son suaire.
Paraît-il que Jabirah est une mâchonneuse de linceul, un vampire nouveau-né dont le corps va pourrir si elle n’ingère pas régulièrement des bouts de son drap mortuaire, et cela jusqu’au dernier fil.
Quant à ce que Muriel demande en retour… Bah, il s’agit de trois fois rien !
Simplement tuer un engeôleur fou qui veut réveiller le passé de la Ville rose…
Notre avis
L'avis de Siana :
Cette chronique porte sur la version numérique (parue sous forme de feuilleton et donc fragmentée en cinq chapitres). Il est important de le préciser car la version papier, prévue pour le dernier trimestre 2013, sera augmentée d’une nouvelle faisant suite à cette histoire.
Tout commence avec une jeune femme qui s’éveille dans un environnement inconnu, la peur au ventre et la douleur chevillée au corps. Jabirah n’a jamais eu aussi mal de toute sa vie et, pour ne rien arranger, les souvenirs se télescopent dans sa mémoire. Elle panique en réalisant qu’elle ne respire plus, puis revoit l’accident. Elle sait qu’elle devrait être morte.
Comme si cela ne suffisait pas, une grande blonde apparaît sur le seuil de la cave où Jabirah est retenue et la considère avec méfiance, un taser en main. La blonde lui annonce qu’elle est devenue un type de vampire bien particulier : une mâchonneuse de linceul. C’en est trop pour notre Jabirah qui, en état de choc, se roule en boule. Mais la blonde ne l’entend pas de cette oreille. Elle s’appelle Muriel, c’est une engeôleuse (non il n’y a pas de faute, vous comprendrez pourquoi en lisant la novella) et elle ne l’a pas arrachée au royaume des morts pour le plaisir. Elle propose un marché à Jabirah, soit cette dernière l’aide dans son entreprise et Muriel lui rendra son linceul, soit Jabirah restera coincée entre le monde des vivants et celui des morts. Pas encore tout à fait vampire, elle finira par pourrir si elle n’ingère pas son suaire. Charmant, n’est-ce pas ? Autant dire que Jabirah n’a pas vraiment le choix.
On entre très vite dans le vif du sujet. Les informations sont savamment distillées tout au long du récit, sans manque ni excès. Les chapitres s’équilibrent les uns les autres, entre action vive et temps d’introspection plus riches en révélations, mais aussi plus lents. L’histoire est maîtrisée et cohérente, même les plus petits détails ont leur importance.
J’ai lu les cinq épisodes avec un mois d’intervalle entre chacun et ne me suis jamais sentie perdue, sans que le récit souffre pour autant de redondance. Evidemment, lus d’une traite ils ne feront peut-être pas le même effet. C’est un peu comme le visionnage de plusieurs épisodes d’une série qui a été conçue dans l’optique d’en diffuser un par semaine, on a l’impression que tout va trop vite. Néanmoins, ce n’est pas dérangeant en soi car l’histoire est intéressante et très bien équilibrée, en outre l’action se déroule sur peu de jours, ce qui justifie le rythme.
Le style ne manque pas de subtilité, faisant contrepoids face à la rapidité avec laquelle se dévide la bobine de l’intrigue. L’auteur laisse la part belle à des personnages bien construits et à une mythologie développée. Celle-ci n’est pas là que pour le décor. Les titres des chapitres, particulièrement évocateurs, sont la marque la plus évidente du soin apporté à ce récit dans ses moindres détails. Il est certes fait pour distraire, entraîner tout de suite le lecteur, mais pas uniquement. Il y a une vraie réflexion derrière cette novella et de la sensibilité pour contrebalancer l’action qui apporte son lot de bastons.
Les personnages peuvent sembler un peu caricaturaux parfois, mais c’est surtout dû au format. La novella, en tant que texte court, ne permet pas un développement plus complet, quant au feuilleton, il pousse à grossir le trait pour le confort du lecteur qui lit les épisodes au compte-goutte et doit s’y retrouver d’un mois sur l’autre. Toutefois cela n’est pas non plus exagéré et ces personnages sont cohérents. Derrière leur aspect un peu brut, il y a de la nuance. Elle passe par l’émotion, par les passages où l’action se ralentit. Chaque personnage est mis en valeur comme il se doit. Muriel et Jabirah forment un duo intéressant, l’une est le yin, l’autre le yang. Elles se complètent et se ressemblent tout en s’opposant. C’est ainsi qu’elles vont faire le chemin ensemble et apprendre l’une de l’autre.
Jabirah est la narratrice, si on excepte un passage relaté à troisième personne, et elle nous est plus proche, mais chacune a la possibilité de se dévoiler à sa façon. Jabirah semble forte et teigneuse, mais on sent une fragilité derrière son attitude bravache. Elle veut juste se protéger. Muriel semble plus en retrait, fuyante, mais elle a son histoire et ses failles. On la découvre petit à petit, avec plus de délicatesse et une certaine pudeur. Le ton est adapté pour chacune et cela renforce le charme de leur histoire, tout en leur apportant plus de relief. Ce fut un plaisir de les voir évoluer.
La mythologie est l’autre point fort de cette novella. Comme à son habitude, Vanessa Terral puise avec brio dans les mythes et légendes. Elle remplit à sa manière les blancs d’une histoire qu’elle transporte vers notre monde moderne. Elle adapte plus qu’elle ne revisite et en l’occurrence ça donne quelque chose de très cohérent, de naturel. Elle nous emmène cette fois à la rencontre d’une espèce de vampires peu courante dans la littérature et assez méconnue, choix que j’ai apprécié, mais elle ne s’arrête pas là. Elle nous présente également les engeôleurs, leur rôle, leurs pouvoirs. C’est un aspect du récit vraiment passionnant et réfléchi.
C’est à ce genre de choses qu’on voit qu’une histoire n’a pas été écrite par hasard et que l’auteur accorde vraiment beaucoup d’importance au fond mythologique et culturel qu’elle utilise. C’est un trait que je recherche dans mes lectures, pas uniquement parce qu’il apporte de la vraisemblance bien que ce soit un plus non négligeable, mais parce qu’il amène aussi à l’intrigue ce petit quelque chose de particulier, à moitié part de la personnalité de l’auteur, à moitié écho mythique, qui en fait un récit que l’on perçoit à plusieurs niveaux et qui a quelque chose à nous enseigner.
Cette histoire, teintée de chamanisme, est une véritable quête initiatique. Si elle coule de source, elle n’est pas pour autant aisée pour celles qui la vivent. Riche de symboles, elle permet au lecteur d’avancer en même temps que Jabirah et Muriel, pour mieux les comprendre. C’est ce que j’ai préféré dans ce récit.
C’est une excellente novella et elle tient ses promesses du début à la fin. Celle-ci reste ouverte, de manière à laisser une place à la nouvelle bonus que contiendra la version papier, mais elle n’est pas bâclée pour autant. Les questions que le lecteur a pu se poser ont trouvé leurs réponses. Cependant, je peux tout à fait concevoir qu’on veuille passer un moment de plus avec ces personnages, d’autant qu’il reste des choses à raconter.