Les Chambres inquiètes
Auteur : Lisa Tuttle
Editeur : Dystopia
Date de parution : lundi 24 mars 2014
Public : Adultes
Genre : Fantastique
Résumé (spoiler)
Sommaire :
- Préface de Nathalie SERVAL
- Un nid d'insectes (Bug House)
- Sans regrets (No Regrets)
- En pièces détachées (Bits and Pieces)
- La tombe de Jamie (Jamie's grave)
- Lézard du désir (Lizard Lust)
- Vol pour Byzance (Flying to Byzantium)
- L'autre chambre (The Other Room)
- Oiseaux de lune (Birds of the moon)
- Propriété commune (Community Property)
- Une amie en détresse (A Friend in Need)
- L'autre mère (The Other Mother)
- Les mains de Mr. Elphinstone (Mr. Elphinstone's Hands)
- La plaie (The wound)
- Le nid (The Nest)
Notre avis
L'avis de Siana
Lisa Tuttle a nourri d’angoisses et de songes inquiets toute une génération d’amateurs de fantastique. Qui connaît ses écrits entre avec réticence dans ses univers à la frontière du cauchemar. Mais quand on a tourné les premières pages de l'une de ses nouvelles, on ne la lâche pas avant de l'avoir terminée et qu’importe le malaise qui nous noue l’estomac.
Ce n’est pas de l’horreur au sens strict du terme, mais une plongée dans l’étrange, un piège plus ou moins horrible qui se referme sur le lecteur et le personnage. Les nouvelles de Lisa Tuttle sont de ce fantastique fébrile, dérangeant et diffus qui gratte discrètement à la lisière de votre raison. Le malaise vient petit à petit et le lecteur cherche de tous côtés la menace sans toujours l’identifier à temps.
Les femmes sont au cœur de ce recueil et je suppose qu’en tant que telle je me sens particulièrement proche de tous ces personnages qui cristallisent des angoisses somme toute très féminines. La maternité est notamment un thème récurrent dans ces textes, mais elle est toujours traitée sous un angle différent. Le fait de voir tous ces récits réunis — alors que vous les avez peut-être lus auparavant dans des publications disparates — donne une perspective intéressante sur le travail et l’imaginaire de leur autrice.
Dans Sans regrets on rencontre Miranda qui a décidé de ne pas être mère pour vivre de son art et qui se retrouve confrontée à la vie qu’elle aurait eue si elle n’avait pas fait ce choix. Il y a eu, dans nos vies à tous, un moment de bascule de ce type et un choix qui a tout changé. Ainsi cette nouvelle peut parler à tout le monde. Dans L’autre mère, en revanche, on découvre le choix inverse et on suit Sara qui croit voir sa créativité se dissoudre dans les exigences de la vie de mère. Ce tiraillement perpétuel entre l’accomplissement professionnel, surtout dans un domaine artistique, et les sacrifices qu’implique la maternité est parfaitement décrit et donne à réfléchir. Il m’a ramenée à des problématiques très personnelles. Ces deux nouvelles sont parmi mes préférées.
Toutefois l’exploration de l’univers parental ne s’arrête pas là et l’on trouve entre ces pages une mère qui souffre de voir son enfant grandir et se détacher d’elle, une autre en proie à la folie et à l’obsession dans Oiseaux de lune. Dans Propriété commune c’est l’aspect destructeur de la possessivité qui est traité, mais pas uniquement par le biais de la paternité.
Pour autant, on trouve bien d’autres thèmes et pistes dans ce recueil. Les femmes de ces histoires ont fui des cauchemars pour mieux s’y retrouver prises au piège. Enfermement, fantômes et folie, abus en tous genres, nos peurs, irrationnelles ou non, rythment leur plongée au cœur de l’étrange.
Dans Vol pour Byzance, une jeune femme qui pensait s’être libérée de son passé s’y trouve de nouveau confrontée. Ce texte explore la créativité, la liberté qu’elle procure mais aussi les déchets dont elle se nourrit. Il nous parle aussi de confiance en soi et des barrières qu’on laisse les autres, ou parfois soi-même, nous imposer. C’est un très beau texte, perturbant, mais inspirant.
Souvent dans ce recueil, c’est la condition de femme qui fait la victime, comme dans Lézard du désir ou Les mains de Mr. Elphinstone, sans parler de cet étrange et néanmoins très significatif texte qu’est La Plaie. On explore dans ces récits la féminité, ses contraintes et ses failles. Cependant certaines femmes refusent d’être des victimes, comme on peut le voir dans En pièces détachées. Cela ne veut pas dire qu’elles s’en sortent bien pour autant. Et on s’aperçoit que les réactions de toutes ces femmes sont très différentes. Aucun schéma ne se répète deux fois, c’est là toute la richesse de l’imaginaire de l’autrice.
Certaines nouvelles sont poisseuses et vous les fuirez avec horreur quand d’autres, comme L’autre chambre — qui a des allures de conte obscur — ou la très belle et poétique Une amie en détresse — véritable bijou du genre — vous empliront d’une nostalgie chagrine.
Un nid d’insectes est en revanche une des nouvelles les plus poisseuses et je l’ai relue avec dégoût, sachant cependant que c’est un texte très bien écrit et qui ouvre parfaitement ce recueil, puisqu’il figure un piège qui se referme sur le lecteur autant que sur le personnage. Son pendant est le texte qui clôt l’ouvrage : Le nid. Ce dernier, d’une facture assez classique car il ne donne pas un seul indice au lecteur sur sa véritable nature, est aussi l’un de mes préférés. Troublant, ambigu, il est la conclusion parfaite.
Rééditer ces nouvelles a été une excellente initiative des éditions Dystopia. Vous trouverez également un autre recueil de Lisa Tuttle chez cet éditeur : Ainsi naissent les fantômes.
Il est difficile de trouver du fantastique de nos jours et plus encore du fantastique d’une si grande qualité. Aussi le fait que des éditeurs n’abandonnent pas ce genre pour quelque chose de plus rentable et prennent en outre la peine de rééditer des textes, surtout dans un format boudé comme l’est la nouvelle, doit être salué à sa juste valeur. Le fantastique est un genre qui gagne à être découvert et des textes comme ceux-ci, qui sont devenus des classiques du genre, méritent d’être connus d’un plus large public.