Mémoires d'un maître faussaire

Titre original : Memoirs of a Master Forger
Auteur : Graham Joyce
Editeur : Bragelonne
Date de parution : mardi 3 février 2009
Public : Adultes
Genre : Fantastique
Note de la rédaction :

4° de couverture

William est un faussaire spécialisé dans les livres. Il est doué pour l'écriture mais préfère griffonner incognito des poèmes pour un ami plus séduisant que lui et fabriquer des exemplaires factices de premières éditions de Jane Austen qu'il vend ensuite à des collectionneurs crédules. II n'est pas si mauvais, au fond : il reverse l'argent récolté à un foyer pour SDF et ses crimes ne font de mal à personne. Mais si William n'a rien fait d'autre de sa vie, ce n'est pas sans raison. Il a commis quelque chose quand il était étudiant qui lui fait honte, boit beaucoup trop et ne peut s'engager dans une relation amoureuse. Ah oui, et il voit des démons. Des silhouettes éthérées qui rôdent derrière le dos de ceux qui l'entourent, guettant un instant de faiblesse. À moins que William voie simplement la souffrance du monde ? C'est alors qu'une femme extraordinaire, peut-être capable de l'en sauver, entre dans sa vie...

Notre avis

Club de lecture V&SL'avis de Nairo : 4/5

William est un homme déchiré par son divorce et il ne supporte pas la misère humaine.
Et accessoirement, il voit les démons. Si j’ai aimé les histoires des différents personnages, je n’ai pas aimé la manière dont elles ont été racontées, bien que cela soit sûrement volontaire de la part de l’auteur. Et cela m’a grandement énervée pendant la lecture !
En effet, l’histoire se déroule dans le présent et, sans transition, on saute dans le passé pour revenir ensuite dans le présent. Autant vous dire que j’avais tendance à pester toute seule pendant ma lecture !
C’est d’ailleurs l’une des raisons qui a fait que j’ai mis autant de temps à faire cette critique. Il s’agit du gros point noir du livre, tellement énorme qu’il rend la lecture laborieuse. Mais c’est un avis tout à fait personnel !
J’ai trouvé ce point vraiment dommage car l’histoire est intéressante et le point de vue de l’auteur ne l’est pas moins. Les personnages sont vraiment très riches (pas financièrement, bien sûr, ce serait même plutôt l’inverse !). Tous ont une histoire personnelle développée, avec beaucoup de détails, et ces derniers prennent encore plus de sens lors des interactions avec les autres personnages. Je pense notamment au clin d’oeil

Ce livre parle donc de démons. Je ne suis pas persuadée que d’autres auteurs aient traité la question sous cet angle. Je dois avouer que William Heaney a une vision des choses assez rafraîchissante, cela change radicalement de ce que j’ai l’habitude de voir et de lire. Toutes les actions et réflexions sont plus ou moins imbriquées les unes dans les autres.

J’ai juste été un peu déçue par la fin, que j’ai trouvée un peu fade par rapport au reste du livre.
Toutefois, je vous le recommande. Malgré les défauts qui m’ont dérangée, et avec le recul, ce livre est quand même un petit bijou !

 

L'avis de Siana : 4/5

Commençons par dire que c’est du fantastique au sens strict du terme. Le surnaturel n’est pas des plus discrets, mais il est tout relatif car uniquement dévoilé à travers les perceptions des personnages. Vous êtes donc prévenus, n’attendez pas de ce roman qu’il passe un certain seuil de « normalité ». Pour autant, ce n’est pas non plus du fantastique à l’ancienne qui cultive religieusement l’ambiguïté. On croit ou ne croit pas, on peut se poser des questions, mais ce n’est pas non plus l’essence-même de l’histoire. Le surnaturel fait simplement partie du récit, comme une tache d’ombre sur une photo.
C’est plus moderne donc, mais toujours axé sur la psyché du héros. Le fantastique est souvent une littérature de l’être, une histoire symbolique de la formation du mental et du basculement de l’esprit vers une autre réalité, ou plutôt une oscillation entre deux réalités. Le lecteur ne sait jamais vraiment si le personnage est d’une extrême lucidité ou s’il devient simplement fou. C’est cette ambigüité qui me plaît, ce vacillement, parfois même imperceptible, ces voies multiples qui s’ouvrent devant le lecteur.
Mais ne vous faites pas de fausses idées, ce roman, s’il n’est pas une lecture que l’on peut qualifier de légère, n’est pas non plus pesant et déprimant. C’est un bon miroir de la vie en générale, avec ses dérives, ses tragédies, mais aussi ses joies, les amitiés qui se nouent, les étranges coups du sort et rencontres fortuites qui font le quotidien. Et Joyce sait comme personne décrire ce quotidien en demi-teinte… Son style exquis, subtil, mais aussi acéré est tout entier au service de son récit.
Il a une façon incroyablement sensible et évocatrice de dépeindre la psyché humaine, une écriture vibrante d‘émotion, tout en étant très terre-à-terre et ne versant jamais inutilement dans le pathos, qui me fait toujours apprécier ses ouvrages, mais qui me fait aussi les regarder avec appréhension avant de les ouvrir. Il sait faire du quotidien une histoire dense, plus psychologique que réellement basée sur l’action. Il peut passionner son lecteur avec bien peu de choses au final.
J’ajouterai également que Mélanie Fazi est sans nul doute une des meilleures traductrices possibles pour Graham Joyce. Elle sait à la perfection transposer les subtilités de son écriture.
L’histoire en elle-même est fort simple. William Heaney, le narrateur et personnage central, nous invite dans son existence un peu terne. Divorcé, englué dans un travail de bureaucrate qu’il juge absurde, il vivote tranquillement entre son boulot et ses soirées avec ses copains du club des chandelles, montant quelques escroqueries qui lui servent à financer un refuge pour sans-abris. William est un personnage emmuré dans ses souvenirs, hanté par ses lâchetés, qui a méthodiquement chassé toute passion de sa vie. Il l’a passée à se planquer, loin des sentiments exacerbés qui s’apparentent pour lui aux démons qu’il voit partout.
Un peu paumé et alcolo sur les bords, cynique, un peu cinglé aussi, il est malgré tout assez drôle, intelligent, attachant, très humain et au fond on l’identifie tout de suite comme quelqu’un de bien, peut-être un peu lâche, mais cherchant à se rattraper de ses erreurs passées. Je dois avouer qu’il m’a été particulièrement sympathique.
Les personnages sont toujours la meilleure réussite de Joyce, il sait les rendre vivants. Celui-ci n’échappe pas à la règle, mais les personnages secondaires sont tout aussi bien construits, aussi réels et travaillés. Chacun à son histoire et, si William est le personnage principal, aucun n’est pour autant oublié ou voué uniquement à faire tapisserie. Ils sont tous aussi essentiels les uns que les autres à la construction de ce récit, tout comme l’est la ville avec son ambiance et sa culture. Tout forme un ensemble des plus cohérents, un canevas complexe.
C’est une histoire en spirale plus qu’une chronologie double. Au début le passage au passé peut dérouter, mais on comprend vite comment marche l’esprit de William. Ces incursions dans le passé finissent par se fondre dans le récit et j’ai trouvé le tout très fluide et bien pensé. C’est en cela que ça me fait penser à une spirale. Depuis le nœud du problème, cette culpabilité que traîne le personnage, à sa vie actuelle, son existence a évolué en spirale, décrivant des cercles de plus en plus grands, mais toujours avec ce rappel, ce point douloureux par lequel il faut repasser de cercle en cercle. Et comme dans toute spirale, au-delà de ce point central sur lequel se focalise notre héros, des choses se répètent, reviennent sous d’autres formes, des détails sans cesse renouvelés poussent au souvenir ou à la réflexion. C’est une histoire parfaitement construite, très prenante et qui m’a particulièrement touchée. C’est peut-être un peu à cause de mon histoire personnelle, mais je pense que la sensibilité avec laquelle Joyce nous fait percevoir l’histoire de William y est aussi pour quelque chose.
J’ai vraiment beaucoup apprécié cette lecture, mais je conçois que ce ne soit pas le genre de tout un chacun. Il n’y a pas beaucoup d’action, on suit surtout la vie quotidienne de ce personnage qui voit des démons et essaie de ne pas se noyer dans ses propres regrets. Ce que j’ai aimé, c’est que le fantastique est ici au service de cette réalité, somme toute simple et terne, et qu’au lieu de nous en distraire, il la met plutôt en relief. C’est, pour moi, un excellent roman.

 

L'avis de Myrine :

Voilà un livre qui n’aura pas été à la hauteur de mes attentes. Il faut admettre qu’à la lecture de la quatrième de couv’, j’avais imaginé autre chose. Certes, on y retrouve tous les éléments du résumé, mais le rendu est bien moins palpitant. Les ingrédients fantastiques m’ont semblé tellement accessoires, que je me suis demandé ce qu'ils faisaient là. Car Graham Joyce, véritable auteur de ces mémoires, nous offre plutôt une peinture du Londres des années 90 et de sa faune hétéroclite, abonnée aux pubs et complètement blasée qu’un roman où le fantastique tient un rôle primordial. Pourtant, il y avait des détails très intéressants qui auraient pu déboucher sur un roman d'aventures avec une véritable intrigue. Malheureusement, l'auteur a préféré se concentrer sur la peinture sociale.

Au centre de ce livre, on trouve William Heaney. Bureaucrate, divorcé, faussaire de livres anciens, légèrement alcoolique sur les bords, il est l’incarnation du pauvre looser de service qu’on finit toutefois par apprécier. Tout simplement parce qu’il essaie tant bien que mal de racheter sa conscience et de rattraper ses erreurs. Il est entouré d’individus du même style et possédant cette même volonté de bien faire. Tous sont attachants et tellement criants de vérité qu’on croirait y voir des connaissances. Leurs problèmes sont ceux que nous pouvons rencontrer dans notre train-train quotidien. Leurs états d’âme nous parlent. Leurs virées récurrentes au pub aussi. Mais j’ai trouvé cela assez lassant, pour ne pas dire banal. Ce livre m’a rappelé ce qu’on trouve souvent dans la littérature contemporaine : l’évocation de la vie de monsieur et madame Tout-le-Monde. Et c'est le genre d'histoire qui m'ennuie, voire qui ne m'apporte strictement rien. Lire, comme regarder un film, c’est pour moi synonyme d’évasion, et là je n'ai rien ressenti de tel. Certes, il y a bien une critique de la société, un critique de la guerre, une analyse sur la difficulté de construire son existence, de trouver l’amour, etc, etc, etc… et cela débouche sur une réflexion, sur une éventuelle auto-critique. Bien sûr, ça se laisse lire, c’est bien écrit, mais ce conte pour adulte qui nous sert une jolie morale bien pensante ne marquera pas ma vie de lectrice.

Aucun commentaire n'a encore été déposé

Ajouter un commentaire